Une terre d'hommes
Dépeuplement rural.
De l’Ebre à la frontière française, l’Aragon compte environ 1.230.000 habitants, ce qui correspond à une densité de population de 43 habitants au kilomètre carré, une densité bien inférieure à la moyenne espagnole qui est de 93 hab/km².
|
La population, très inégalement répartie, est essentiellement concentrée à Saragosse (675.000 habitants) et à Huesca (53.000 habitants). A elles seules, ces deux cités rassemblent 59% de la population nord-Aragonaise.
Avec leur forte démographie, Saragosse et Huesca font donc face à un Aragon rural presque désert. De nombreuses comarques, essentiellement montagnardes, souffrent d’un dépeuplement quasi-ininterrompu depuis le début du XXe siècle et cette tendance est loin de s’inverser ; la Ribagorza, par exemple, a vu sa population passer de 34.105 habitants en 1910 à 11.895 habitants en 1996, soit une perte démographique de 65%. Certaines sierras, comme celle de Guara, ont été complètement dépeuplées en l’espace de deux décennies (années 1960 et 1970).
Toutefois, une exception demeure : la large vallée du rio Aragon (canal de Berdun), peu accidentée et aisément accessible depuis la France, la Navarre et la vallée de l’Ebre, a su rassembler une importante population essentiellement concentrée à Jaca et à Sabiñanigo. |
|
Les principales causes de l’exode rural sont :
L’émigration volontaire des populations qui, dans la perspective d’une vie meilleur, s’en sont allées vivre dans quelques grandes villes du nord de l’Espagne telles que Saragosse, Huesca, Pampelune, Lérida ou Barcelone.
-
Les expropriations des terres agricoles et des habitations par l’état en vue de la création de lacs artificiels ; le village de Mediano, avec son célèbre clocher qui surgi des eaux, en est un malheureux exemple.
Le Haut-Aragon détient ainsi le triste record Espagnol du plus grand nombre de villages abandonnés, près de 200.
Mais l’émigration n’est pas la seule cause de ce dépeuplement rural, il faut également tenir compte d’un vieillissement préoccupant de la population qui se traduit par un taux de mortalité supérieur à celui des naissances.
La conséquence la plus visible de ces divers éléments est que la presque totalité des comarques nord-aragonaises affiche des indices démographiques particulièrement bas, souvent inférieur à 25 hab/km², voire même extrêmement bas (la Ribagorza comptent 5 hab/km² et le Sobrarbe seulement 3 hab/km²).
Le Haut-Aragonais d’hier.
Jusqu’au milieu du XXe siècle, les reliefs tourmentés du Haut-Aragon ainsi que les carences en infrastructure routière isolèrent les populations montagnardes du reste de la région. Même d’une vallée à l’autre les communications pouvaient s’avérer difficiles, le commerce entre localités était donc peu fréquent et la monnaie ne circulait guère.
|
|
Ce contexte d’enclavement poussa les paysans aragonais à développer au fil des siècles une économie éminemment autarcique. Chaque village, parfois minuscule et pouvant n’appartenir qu’à une seule famille, possédait son four à pain, son moulin à eau, son pressoir, son chai, son église, sa fontaine, et parfois même sa propre école.
Le confort de vie était très précaire, il n’y avait ni électricité, ni eau courante, ni téléphone.
L’élevage était essentiellement orienté vers le bétail ovin et la culture se développa au fond des vallées ainsi que sur les innombrables terrasses agricoles aménagées à grand peine sur les flancs des montagnes.
|
Le Haut-Aragonais connaissait des conditions d’existence souvent difficiles, mais il ne s’en plaignait jamais.
Après la Deuxième Guerre Mondiale, cet équilibre économique fut profondément bouleversé par la mécanisation de l’agriculture.
La plupart des villages, sans routes ni chemins, restaient inaccessibles aux machines modernes et l’étroitesse des terrasses agricoles les rendait inutilisables. Le Haut-Aragonais prit alors conscience de l’impossibilité de poursuivre sa vie traditionnelle face à une agriculture en pleine transformation. En à peine deux décennies, ce sont prés de deux cents villages qui se dépeuplèrent, leurs habitants s’expatriant vers le piémont et vers quelques grandes villes de la vallée de l’Ebre.
Avec ses vastes plaines peu accidentées et ses nombreuses voies de communication, la vallée de l’Ebre était propice à un épanouissement sans contraintes de l’agriculture moderne. L’aménagement des cours d’eau ainsi que la construction de lacs à barrage et de canaux rendit possible l’irrigation de nombreuses terres jusque-là réservées aux cultures sèches ou, le plus souvent, abandonnées aux steppes.
|
L’habitat rural montagnard traditionnel.
D’aspect rustique, la maison du Haut-Aragonais se caractérise généralement ainsi : les murs sont fait de grosses pierres le plus souvent apparentes, la porte d’entrée est en plein cintre, les fenêtres sont rares et de petites dimensions. Le rez-de-chaussée faisait autrefois office d’étable ou d’écurie, au premier étage se trouve de petites chambres ainsi que la salle commune ; au centre de cette dernière figure un large foyer dont l’âtre, entouré de bancs, est surmonté d’un avaloir conique par lequel est évacué la fumée. Sur le toit recouvert de lauzes se trouve la grosse cheminée tronconique typique du Haut-Aragon.
La façade des demeures aragonaises est parfois agrémentée d’écussons familiaux témoignant du rang social de ses occupants ; la porte d’entrée peut aussi être décorée d’une superbe poignée et d’un heurtoir souvent évocateur.
|
|
|
Les symboles servant à attirer la protection des divinités et des esprits, ou inversement à conjurer le mauvais sort, sont également présents dans de nombreux aspects des constructions : il était ainsi très fréquent de trouver cloué sur la porte d’entrée une patte d’ours, de sanglier ou de rapace dans le but d’attirer chance et protection ; des plantes telles que le chardon ou le laurier étaient réputées assurer de bonnes récoltes.
Encore visible un peu partout dans le Haut-Aragon, la « Espantabruja » est une pierre à face humaine positionnée au sommet des cheminées, elle est censée éloigner les mauvais esprits et les sorcières.
|
Infrastructure routière.
Enchevêtrées les unes dans les autres et séparées par de profondes gorges, les montagnes aragonaises ont longtemps rendu les communications difficiles entre les hommes.
Jusqu’à la fin des années 1960, le réseau routier du Haut-Aragon s’avérait très incomplet et de bien mauvaise qualité. Pour preuve, durant cette même décennie près de quatre-vingt pour cent des villages n’étaient accessibles qu’à pied ou à dos de mulet.
Ce constat s’imposait tout particulièrement dans les comarques du Sobrarbe et de la Ribagorza ; la topographie du Haut-Aragon étant loin d’être homogène, la partie orientale resta longtemps plus isolée et difficile d’accès que la partie occidentale (Jacetania et Alto Gallego). En effet, l’ouest bénéficie avantageusement d’un vaste corridor sub-pyrénéen, le canal de Berdun, largement ouvert sur la Navarre, mais aussi aisément accessible depuis la vallée de l’Ebre (défilé du rio Gallego et col de Monrepos) et depuis la France malgré l’altitude des cols frontaliers (Portalet et Somport).
|
|
Ainsi, plus à l’est qu’à l’ouest, le profil compliqué des montagnes aragonaises demeura durant des siècles un obstacle majeur à l’ouverture des populations sur le reste du monde.
Conscient de l’extrême médiocrité de leur réseau routier, les haut-aragonais entreprirent des efforts colossaux afin de désenclaver non sans difficulté un maximum de vallées.
Paradoxalement, alors que la raison d’être des nouvelles routes était de rompre l’isolement des villages les plus reculés, elles servirent également à accélérer l’exode des populations montagnardes vers les grandes cités de la vallée de l’Ebre. |
Aujourd’hui, l’infrastructure routière du Haut-Aragon se révèle très satisfaisante. Rares sont les villages qui ne sont pas desservis par une route goudronnée, ou au pire par une piste de terre carrossable. L’automobiliste peut désormais accéder assez aisément à toutes les vallées, à toutes les sierras, et pratiquement à toutes les localités aragonaises.
|
|